• Jacques Denis // Libération (16 août 2019)
HORACE TAPSCOTT, FIGURE FREE JAZZ RESSUSCITÉE
Trois rééditions sortent de l’ombre le pianiste mort en 1999, inlassable militant de la cause noire à la musique aussi libre qu’habitée.
«Je suis bénie de pouvoir jouer la musique d’Horace Tapscott, l’un de mes héros», se félicitait récemment la clarinettiste de Chicago Angel Bat Dawid en prévision d’un concert le 11 août à Los Angeles. «J’aime sa musique, sa philosophie et tout ce qu’il a fait pour la communauté dans laquelle j’ai grandi», confiait en 2015 le saxophoniste Kamasi Washington. Ces hommages par deux personnalités du jazz actuel confirment le retour en grâce du pianiste Horace Tapscott, longtemps demeuré un secret de happy fews. Voici une dizaine d’années, Carl Craig saluait son «exemplaire sens du collectif» et Madlib accompagné de son Last Electro-Acoustic Space Jazz & Percussion Ensemble gravait un magnifique Horace.
Démocratie sonore
Tapscott choisit d’œuvrer auprès de sa communauté – fédérant les musiciens de rue, jouant gratuitement dans les écoles et hospices, formant les enfants du ghetto de Watts – au risque d’être inquiété par le FBI (ces pratiques poético-politiques sont forcément suspectes) et trappé par la postérité.
Il semblerait que les pendules se remettent à l’heure si l’on en juge par les sorties quasi concomitantes de trois disques qui permettent de réfléchir l’aura de celui qui fonda en 1961 le Pan-Afrikan Peoples Arkestra. Creuset créatif, cette démocratie sonore fut aux avant-postes de la Great Black Music et des luttes sociales, prêchant le «ujamaa», l’unité en swahili. Premier paru, au printemps, The Call est l’une des nombreuses sessions que ce soutien des Black Panthers enregistra pour Nimbus, label qui a conservé l’essentiel de ses traces. Daté de 1978, année où il enregistre le sommet Flight 17, cet album témoigne de la versatilité thématique qui caractérise la musique de Tapscott, aussi à l’aise avec la tradition du bebop, incarnée ici par le vétéran Red Callender, qu’avec l’émancipation de la new thing, portée notamment par les chorus incendiaires du saxophoniste Michael Session, un des jeunes du quartier qui deviendra le directeur de cette arche d’alliance panafricaine.
Grooves hérétiques
Un an plus tard, le même orchestre tient résidence à l’Immanuel United Church of Christ de Los Angeles, sanctuaire idoine pour ce jazz à la dimension spirituelle, où les élans du gospel communient avec les grands écarts du free. Grooves hérétiques, envolées vers l’ailleurs, contre-plongées dans les abysses, tout ceci transcende les sacro-saintes chapelles, pour porter un même message : «Notre musique est contributive plutôt que compétitive.» Ce slogan figure en exergue de Why Don’t You Listen ?, enregistré au Los Angeles County Museum of Art un an avant la mort de Tapscott, en 1999. Sorti des archives familiales grâce au labeur du Français Bertrand Gastaut, ce concert s’inscrit dans le même sillon : une thématique panafricaine, des lignes de contrebasse profondes, un piano dont chaque note est habitée de toute l’histoire afro-américaine, des voix transportées par la ferveur… Parmi celles-ci le chant poignant de Dwight Trible, disciple de Taspcott. Tous unis au moment d’entonner la coda de Little Africa, citant le Black National Anthem : «Que notre joie s’élève haut dans les cieux qui écoutent.»
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