• Guy Sitruk // ★ÉLU★ CitizenJazz (5 octobre 2020)
C’est le dernier album en date du label Dark Tree, fondé par Bertrand Gastaut, et le second consacré au pianiste, compositeur et chef d’orchestre Horace Tapscott.
Il rappelle le vif intérêt du label pour le travail de ce musicien, son nom même étant emprunté à un album du pianiste en quartette, en 1989. Le précédent album, Why Don’t You Listen réunissait outre le PPA, le chœur UGMAA, lors d’un enregistrement live de 1998.
Cette fois, on remonte encore davantage le temps pour des sessions de 1976.
Plusieurs directions se faisaient jour, dont une forme de fierté noire cherchant ses racines dans une Afrique encore mythifiée. « Ancestral Echoes » en est une célébration. Titre de l’album, c’est aussi sa première pièce.
Elle commence par un poème, un hommage au peuple noir, à ses racines, déclamé par Kamau Daa’ood avant le solo d’Horace Tapscott où bien des couleurs se mêlent, y compris des comptines, des ruissellements, une pincée de « churchy » aussi, avec un plaisir gourmand des sonorités. Puis un motif répété qui introduit l’orchestre et le thème lui aussi répété, une forme de chant d’épopée, une longue traversée des siècles, quasi cinématographique. Et sur ce tapis orchestral, un long et beau discours de Steven Smith (tp). À la fois dans la tradition et dans les dérapages free, dans l’orgie des timbres, dans la folie des circonvolutions, alors que l’orchestre, les percussions se déchaînent. Puis un sax soprano, celui de Jesse Sharps, qui n’a rien oublié des fièvres, de la transe du grand Trane. Et le final, long, pourrait être ad libitum, tant la magie de l’orchestre opère.
Quelques notes nostalgiques au piano, accompagné de légères frappes des paumes sur les peaux et rejoint par le PPA pour un chant en demi-teintes : « Sketches of Drunken Mary ». Michael Session (as) est le premier à prendre son envol, inspiré, titillé aussi par le clavier et les congas entêtantes de Moises Obligacion. Une très belle flûte (Aubrey Hart) vient mêler souffles et notes pour un discours délié, mélodiste, disposant d’un accompagnement de rêve du grand Horace. Et quand ce dernier prend ses aises, le thème resurgit, délicat, et s’inscrit puissamment dans vos synapses. Ces deux thèmes sont du pianiste.
Sur les autres pistes, on continue dans cette célébration de l’orchestre, de la grande tradition du jazz qui a su faire sa révolution au tournant des années 60, une de plus, et qui après les rages et les révoltes, a su retrouver le sens du plaisir simple, communicatif, tout en poursuivant l’héritage de génies trop tôt disparus comme Coltrane. À l’exemple du magnifique solo enfiévré de Charles Chandler (ts) dans « Jo Annette ». Horace Tapscott, comme toujours, sait faire chanter les thèmes, leur cœur, leurs entrailles, leurs secrets.
À noter, deux solistes femmes : en 1976 ce n’était pas si fréquent. Elles sont deuxième et troisième dans l’ordre protocolaire. C’est à Adèle Sebastian (fl) qu’échoit l’ouverture du dernier thème, « Eternal Egypt Suite » en un long chant de plus de quatre minutes avant les plaisirs de la masse orchestrale. Cette pièce est donc une suite, avec des paysages contrastés, un orchestre souvent dans la scansion de mêmes segments, une sorte d’office d’église païenne, qui lorgnerait vers l’Afrique fantasmée, les délices des timbres métalliques torturés en plus, à l’image du second solo de Steven Smith (tp). Fuasi Abdul-Khaliq, compositeur de cette pièce, viendra clôturer la partie soliste de l’album avec une fièvre et une transe venant tutoyer les suraiguës du sax ténor et l’apoplexie du souffleur. Un bouquet final particulièrement réussi.
C’est une grande fête à laquelle nous invitent Bertrand Gastaut et son superbe label Dark Tree. Horace Tapscott est, lui aussi, une sorte de passeur entre les splendeurs du hard bop, jamais bien loin, et l’inscription sans réserve dans un free parfois extrême, parfois apaisé. Les fantômes de l’Afrique sont en embuscade tout l’album durant. Les multiples saveurs orchestrales viennent étancher notre gourmandise des timbres. Régalons-nous.
L’album est disponible chez votre disquaire favori. La liste des musiciens est sur la page Bandcamp, ainsi qu’un morceau en libre écoute, le dernier de l’album.
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