• Guy Sitruk // Jazz à Paris (7 octobre 2019)
Par quelque bout qu’on prenne cet album, c’est une réussite. Ce duo rassemble deux protagonistes aux talents déjà reconnus et dont la progression ne semble pas marquer le pas. Ils continuent de tout oser, avec fraîcheur, dynamisme. Ils savent qu’ils sont de ceux qui feront bouger les lignes et ils comptent bien y prendre leur part. C’est donc une excellente idée de Dark Tree que de les réunir.
La guitare est souvent dans les brisures, les grésillements, les crépitements, les craquements, les mitrailles, les bourdonnements d’insectes métalliques, des quasi bruits blancs, comme si tout discours mélodique, fut-il fragmentaire, serait par trop emphatique et diluerait la tension nécessaire à l’expression de l’urgence. Seules exceptions, des notes (sur)aigües pour finir des phrases en une sorte de lacération stridente.
Des éclats au sax, comme si le chant n’osait pas. Puis il s’amorce, encore timidement, avant de se déployer. Le sax choisit souvent ces sons fragmentaires, percutés, claqués ou torturés afin que le grain sonore acquiert la complexité et l’instabilité nécessaires. À d’autres moments, ce sont des tourbillons enfiévrés, des cris, des quasi sifflements, des vagissements, des parlés-joués où la voix de Mette Rasmussen est identifiable, des répétitions entêtantes, des fibrillations autour d’une note, avec là aussi des échappées suraiguës. Ici encore, l’urgence est le fil conducteur, comme si la sève musicale était impatiente de faire éclore de nouveaux espaces.
Chez les deux artistes, c’est bien ce qu’il s’agit de défricher à coups rapides, incessants, énergiques, avec chez Julien Desprez, une radicalité peut-être plus marquée, invitant l’autre à faire un pas de plus vers l’ailleurs, vers un peu plus de transgression … avec un certain succès dans les trois premières pièces.
Et d’une manière inattendue, une sorte de béance en milieu d’album avec « Matter of the Soul », une forme d’hommage Aylerien, Coltranien aussi, exaspéré, toujours sur la crête des sons, bardé d’accords lourds et obsédants, d’une intensité expressive peu commune. Un piton au milieu d’une tempête, un moment à la fois totalement singulier et parfaitement cohérent avec le reste de l’album.
La suite renoue avec l’urgence initiale, ses fragmentations. Cette musique donne l’impression de se faire de plus en plus affranchie au fil des plages, en une sorte de crescendo des incitations, des consentements, des provocations, des tentations gourmandes, avec « Twin Eye », « Black Sand » (absolument saisissant) et « Orange Plateau ».
Peut-être s’agit-il de ma part d’une accoutumance coupable à cette drogue addictive. La réécoute rend plus difficile encore, voire insupportable, l’agression soporifique des musiques balisées.
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