• Article par Jean Buzelin sur Culture Jazz (9 juillet 2014)
Il y a des familles d’esprit — il y a aussi des chapelles, mais ce n’est pas notre propos. Ainsi, l’on suit l’itinéraire et les travaux d’un musicien, puis on le perd en route et on en attrape un autre qui déroule son fil, on en rencontre un troisième qui, un peu plus loin croise le premier, puis le second se joint à eux pour faire un bout de chemin ensemble, et ainsi de suite… Attention, on ne tourne pas en rond, au contraire, mais on se retrouve, sur une certaine idée de la création, de la pratique musicale, de l’échange, de l’enrichissement mutuel… C’est ce qu’on peut appeler des communautés d’esprit, mieux : des fraternités. Pas besoin de grandes discussions préalables — peut-être que si en fait — mais une présence, être là, disponible. Des envies, des idées, des projets, mais pas de chef, pas de leader, du moins dans les disques suivants qui illustrent mon propos (un peu simpliste) et en offrent de belles preuves.
On écoute d’abord Benjamin Duboc, seul avec sa contrebasse empreinte de profondeur et de gravité, dans deux improvisations magistrales magnifiquement conduites en pizzicato dans St. James Infirmary, l’indémodable vieille chanson — on a envie de caresser la note, pour en sentir le poli et la rondeur —, ou à l’archet volontaire, insistant, dans Saint-Martin, une improvisation totale. Mais que ces deux longues pièces se répondent bien !
Saint-Martin de Bignac, c’est l’église où, quand il a posé sa contrebasse, Benjamin se retrouve derrière la table, pour enregistrer une autre contrebasse, mais clarinette cette fois. C’est celle de Jean-Luc Petit, musicien dont on parle peu et qui a pourtant une œuvre derrière lui. Autant dire que nous restons dans le grave ! Mais ça « chante » un peu moins que chez Benjamin, le son est rugueux, granuleux, l’instrument ne permet pas énormément de nuances. La première partie du disque a été enregistrée l’année précédente, au saxo baryton cette fois. On perçoit mieux, avec cet instrument chaleureux, les subtiles variations qui émaillent un trajet musical qui avance lentement.
Benjamin Duboc se joint à Didier Lasserre (batterie) et Henri Roger (piano) pour quatre échanges d’une extrême sensibilité et d’une égale finesse, malgré leur densité et leur côté parfois volontaire. Une grande attention motive les trois partenaires dans ce disque que vous a présenté Thierry Giard dans sa Pile de disques du mois d’avril. Un jeu parfaitement maîtrisé, réfléchi, équilibré, et une musique contemporaine très accessible, qui possède un caractère de jazzité évident, j’appellerais ça une musique intelligente.
Henri Roger s’efface, et apparaît Daunik Lazro. Cette fois-ci, on ne coupe pas la poire en quatre : 55 minutes d’une traite. 55 minutes qu’on ne voit pas passer car la musique se déploie lentement dans l’espace. Les longues phrases du baryton se meuvent sur une nappe de simples percussions, mais nous ne sommes ni dans le « planant » ni dans le « minimalisme » : chaque note pèse, les cymbales sont froissées, le saxophone s’étrangle parfois, la contrebasse accroche, tandis que les cataclysmes annoncés nous frôlent et s’effacent. Que de subtilités dans les contrastes !
Daunik Lazro retrouve une complice de longue date, Joëlle Léandre. Compagnons de route depuis 30 ans, ils n’avaient jamais été enregistrés ensemble en duo. Par un beau soir, ils se retrouvent au Pays Basque, et Jean-Marc Foussat est aux manettes. Quelle chance ! Et voilà que Daunik, avec ses longues phrases dont il a le secret, entraîne Joëlle sur le chemin du lyrisme. Quand je dis entraîne, c’est très relatif, quand on connaît le caractère et le jeu volontaire de la contrebassiste qui ne ménage pas ses secousses. Ce duo de performers rompus à l’exercice se révèle d’une étonnante fraîcheur ; la maîtrise absolue, l’évidente complicité et le sens inné de l’équilibre sur un fil nous maintiennent en haleine d’un bout à l’autre de ce concert bien venu qui paraît aujourd’hui sur un label lithuanien (également bien venu) !
J’avoue avoir beaucoup plus de mal à accrocher au duo que forment Joëlle Léandre et l’accordéoniste Pascal Contet, et leur musique « comprovisée ». Cet opus n°3 comprend sept nombres qui me semblent indéchiffrables (mais que Jean-Noël van der Weid « décrit » littérairement dans le livret). Interprète et compositeur contemporain, Pascal Contet touche au jazz « par la bande », au gré de rencontres et de démarches, certes intéressantes, Simple musique de l’instant ? Autant j’entre sans retenue dans le duo précédent, autant ici il y a comme un feeling qui m’échappe. Je renvoie donc volontiers à des chroniques bien plus enthousiastes et argumentées, à commencer par celle de l’ami Thierry, toujours dans sa Pile de disques d’avril 2014.
Joëlle avait rencontré dernièrement le Trio Ceccaldi. Ici nous retrouvons les deux frères moins la guitare mais avec des percussions, et en compagnie du pianiste Roberto Negro. Des musiciens dont on parle, presque à la mode ! Est-ce leur virtuosité, leur musique brillante, sophistiquée, qui épate et impressionne ? En cela, les frères et leurs compagnons de La Scala réussissent la gageure de proposer une musique difficile, très intense mais non dépourvue de maniérisme, qui semble plaire beaucoup. Là aussi, j’ai un peu de mal à suivre ce que j’appellerai, sans doute à tord par manque de repères, une sorte de baroque contemporain. Mais j’applaudis !Mais pour ceux qui ont besoin d’un peu de racines et de consistance, allez d’abord voir d’abord du côté de chez Daunik Lazro et de Benjamin Duboc.
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