• Chronique par Olivier Acosta sur Mozaïc Jazz (25 juin 2014)
Dernière production du label Dark Tree, dont la ligne éditoriale sans concessions et la constante qualité de production forcent le respect, Sens Radiants est un de ces délices musicaux prompts à émerveiller l’auditeur pour peu qu’il soit sensible à l’expression musicale instantanée et les curieux voyages qu’elle fait naître.
Sens Radiants est le nom du disque, mais aussi celui du seul morceau qu’il contient, une longue et délicate plongée dans l’univers conjoint des trois improvisateurs qui lui donnent naissance. Comme les rêves, cette musique doit se vivre en solitaire, puis se partager a posteriori. Car elle est aussi belle qu’exigeante. Cette musique imprévisible, aux contours un peu flous, aux formes insaisissables, n’est aucunement difficile d’accès. Elle demande simplement qu’on lui consacre une heure et un peu plus, car il est recommandé de se vider la tête pour l’accueillir, et de prévoir un peu de temps après son écoute pour la laisser exister sur le silence, comme une lumière vive s’imprime sur la rétine pour prendre le temps de se fondre sans heurts dans le noir profond des paupières closes.
Cette musique est délicate, oui, car elle est intime. Ni chambriste, ni minimaliste, ni intimiste. Intime, dans le sens où on perçoit à travers les gestes des musiciens mais aussi à travers leurs effacements une sensibilité qui les amène à effleurer le silence, à y déposer leurs sons comme l’artiste peintre frôle sa toile blanche du bout du pinceau, pour ne pas la tâcher. Souvent les instruments se taisent. Souvent, ils murmurent. Puis, dans un élan partagé, ils se joignent et affirment leurs présences, non pour s’imposer mais pour respecter le grand vide en y plongeant sans retenue.
Benjamin Duboc et Didier Lasserre jouent beaucoup ensemble. Ils ont enregistré de nombreux trios, avec entre autres Christine Wodrascka, Henri Roger, Jobic Le Masson, Abdelhaï Bennani où Ly Thanh Tiên. Tous deux pratiquent sur leurs instruments respectifs des plongées abyssales au cœur du son, mettent en place des séquences tirant profit du travail minutieux des énergies, des vibrations et des effets d’adjonction des notes et des harmoniques impalpables. Comme Daunik Lazro, dont on redécouvre de projet en projet la propension à creuser son sillon, développe au saxophone baryton une poétique des sons allant également dans ce sens, le trio est parfaitement cohérent, les épisodes en solo, duo ou trio trouvant naturellement leur place au cœur de ce long développement, cette lente éclosion qui atteint son paroxysme dans la belle envolée dramatique qui la conclue.
En marge de ce disque atypique et passionnant, on rappellera ici que les trois musiciens avaient déjà enregistré ensemble (Pourtant la cime des arbres pour le même label), et ont récemment sorti des albums en solo absolu qui mettent en exergue la rigueur de leur travail et la plastique singulière de leurs discours respectifs.
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