• ★ÉLU★ par Franpi Barriaux sur CitizenJazz (4 mars 2018)
Stomiidae, race de poisson des abysses à la figure hérissée de dents, aussi effrayante qu’elle est dérisoire. L’animal est petit, son corps râblé supporte les basses températures et la quasi absence du lumière, qu’il compense par une luminescence cruelle ; elle est son arme fatale de prédateur. Stomiidae, forme radicale de trio qui réunit trois figures de la scène de New-York dans les locaux de Firehouse 12, lieu mythique de l’avant-garde de la côte Est ; s’il ne chasse pas en eaux troubles, il conserve quelques caractéristiques du dragon à écailles qui porte le même nom. Autour du violoncelliste Daniel Levin, entre autres collaborateur de Ken Vandermark ou Joe Morris, on découvre l’alto acéré de Chris Pitsiokos, compagnon de fortes têtes comme Otomo Yoshihide ou Nate Wooley. Pour compléter l’équipe qui se livre à un pugilat des bas-fonds, rien de mieux que le guitariste Brandon Seabrook, qu’on trouve régulièrement dans les traces de Mary Halvorson, tant avec Jacob Garchik qu’avec Tomas Fujiwara. Un escadron de choc pour une musique hérissée de piquants qui dit tout de suite, fort et sans détour, qu’elle n’est pas là pour faire joli dans l’aquarium.
Comme dans les fonds marins, la pression est ici intense. La musique du trio s’adapte à cet environnement hostile en jouant très resserré, économe de gestes mais pas franchement de puissance. Les musiciens se chevauchent, s’admonestent et se heurtent avec un plaisir déraisonnable. Ainsi « Neonesthes Capensis » commence par une simple mais lancinante tournerie de cordes où distinguer Levin de Seabrook est parfois complexe, jusqu’à devenir irrespirable. D’autant plus lorsque Chris Pitsiokos vient semer la désolation dans un édifice déjà précaire. Tout tient cependant debout et ne sombre jamais dans le chaos, comme si les improvisateurs savaient d’instinct jusqu’où s’aventurer. C’est la force de Stomiidae et globalement des sept cousins de la famille (chaque titre est le nom d’un poisson) qui se croisent sur ce disque. Même « Photostomias Atrox », où pourtant Pitsiokos se débat au tout début dans une brume électrique, redevient peu à peu serein. On songe à une eau qui se ride après un mouvement brusque et dont l’onde disparaît au fur et à mesure. Un oubli progressif de la violence passée, qui reste néanmoins ancrée dans une tension permanente.
C’est une belle prise qu’a fait là le label Dark Tree. L’enregistrement est court, à peine plus d’une demi-heure, mais il est virulent, cinglant parfois à l’instar de « Eustomias Trewavasae » qui s’articule autour d’un archet agressif. A ce jeu, Seabrook retrouve souvent son goût affirmé pour une musique improvisée qui ne tourne pas le dos au rock et plonge même dedans, tout riff dehors ; c’est donc à son compte qu’il prend parfois le courant ascendant de la lutte sans merci que se livrent violoncelle et alto. Il en profite pour les rudoyer un peu plus et imposer un son acide (« Echiostoma Barbatum »). Une chose est certaine : nous ne ferons jamais de ces Stomiidae de fidèles animaux de compagnie. Reste qu’ils exercent une véritable fascination sur l’auditeur, si tant est que ce dernier ne soit pas du genre à tourner en rond dans son bocal.
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