• Chronique par Guy Sitruk sur Jazz à Paris (2 mai 2016)
Comme les fleurs qui se tournent avec un bel ensemble vers notre astre de vie, les trois musiciens de ce trio (Julien Desprez, Benjamin Duboc, Julien Loutelier) semblent avoir remisé l’affirmation de leur identité propre (pourtant puissante, originale) au bénéfice d’une musique collective aux paysages très cohérents, d’un son fusionnel comme issu d’un instrument hybride aux timbres incertains. Même si l’électronique est présente, c’est aussi l’exploration des instruments acoustiques qui trouble les tympans, qui déstabilise tout discernement.
Mais c’est un nom tout autant paradoxal. La musique n’est pas éclatante de lumière, mais sombre, grave. Exploration tout en retenue des ombres, des infinies nuances de gris. Peu ou pas de stridences suraigüe, de claquements secs, de chocs puissants (dans les trois premières plages : « pour que », « la », « nuit »), mais plutôt une sorte de démarche souterraine, erratique, inexorable.
Une musique qui a largué les attaches des esthétiques qui nous servent encore de lumignon. Porosité des timbres (on en a parlé); absence de pulsation rythmique régulière hors ce qui se rapprocherait de respirations superposées, de mouvements telluriques; pas de mélodie ni même de simple motif répétitif. Les mots qui conviendraient le mieux seraient alors ceux de François Bayle à propos de la musique électroacoustique. Mais là encore, bien imparfaitement : pas d’image mentale plus ou moins repérable, par exemple.
Une musique abstraite, comme diraient les britanniques.
Ce qui nous est offert est une sorte de continuum à la complexité imprévisible. Seul le volume semble répondre à une trajectoire, mesurée, contrôlée, avec des aspérités limitées. Une musique qui obligerait à tendre l’oreille, à tenter de glaner d’improbables points de repères. Une forme de stase où les irrégularités, les éraillements, les harmoniques tiendraient lieu de paysages.
Un mouvement semble se dessiner dans la troisième pièce, une forme de mise en mouvement étouffée, de bouillonnement sourd, parsemé d’accidents, de craquements, pour revenir progressivement à une forme de sérénité.
La quatrième pièce, « s’ouvre », débute sur un registre de sons épars, ténus, de rares cordes pincées, des mini frappes répétées en arrière plan, des frottements doux. Puis les murmures deviennent grognement, grondements, les éraillements deviennent stridences. Les frottements de l’archet se font lourds. Les crépitements deviennent plus puissants. Irait-on vers une forme d’apothéose sonore ? Non, la maîtrise encore. Les « respirations » deviennent plus régulières. Elles s’apaisent progressivement en dépit d’éclats aux cymbales pour laisser notre imaginaire continuer sa course dans le silence.
Une musique profondément originale et sensible; une trajectoire hypnotique qui vaut toutes les méditations fussent-elles transcendantales. Cette musique distille une fascination continue, une forme d’apnée, un pur bien être intérieur. Une bien belle réussite.
Acapulco, le précédent album de Julien Desprez, pouvait déjà être entendu comme relevant de ce même filon esthétique. Chez Benjamin Duboc, c’est l’évidence même depuis plusieurs enregistrements. Ces trois musiciens attestent là d’une pleine maturité musicale. Et ce n’est certainement pas leur zénith. Leur avenir est riche de nouvelles fulgurances.
A noter que si le présent album a été enregistré chez Ackenbush en janvier 2015, un précédent enregistrement (avril 2014), dans le même lieu, de ce même groupe avait été proposé en version digitale sur Bandcamp .
« L’héliotropisme, cette attraction vers le soleil, permet à certaines plantes, d’assurer une meilleur photosynthèse.
Le Tournesol, maître en la matière de tous les héliotropes, développera ainsi en son cœur une inestimable et bienfaisante richesse.
Aux aguets, à l’écoute des moindres modulations sonores tout en s’attelant à leur tache avec autonomie, Benjamin Duboc (contrebasse), Julien Desprez (guitare) et Julien Loutelier (percussions) semblent cheminer avec plaisir et nécessité dans ce nouvel espace musical, fruit du passé et du présent. »
Une phonosynthèse délicate et inouïe ! »
J’avais déjà été fasciné par cette musique d’alors, et l’avais signalée lors des « Dolphys d’Or 2014« . La réécoute du premier enregistrement permet de saisir les inflexions à l’œuvre dans cet album de Dark Tree. Occasion de s’aiguiser les oreilles.
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