• Chronique par Julien Héraud sur Improv Sphere (14 mai 2014)
En 2011 je crois, le trio Lazro/Duboc/Lasserre inaugurait en beauté le label français dark tree. Il revient aujourd’hui sur le même label pour une longue improvisation enregistrée lors d’un festival périgourdin. On retrouve donc Daunik Lazro au saxophone baryton, Benjamin Duboc à la contrebasse et Didier Lasserre à la batterie. Trois musiciens qui écument depuis des années les scènes « jazz et musiques improvisées » françaises et internationales. Trois musiciens qui ne font ni du free jazz, ni de l’improvisation libre à proprement parler, mais qui font leur musique, une musique personnelle et véritablement libre.
Dans le contenu, ces trois musiciens, surtout pour ce trio, ne cherchent pas vraiment à créer des sons inouïs, ils ne développent pas des textures incroyables et n’utilisent pas tant que ça de techniques étendues. C’est plutôt dans la forme et la composition que le résultat est inouï et recherché. Il s’agit d’improvisation qui se déroule de manière linéaire, mais le trio avance en toute liberté. La forme est inouïe au sens où les musiciens ne se refusent rien, et ne se posent surtout pas la barrière esthétique du déni des idiomes et des référents musicaux. On peut ainsi trouver des éléments mélodiques au saxo (avec les superbes phrasés hérités d’Albert Ayler), un ostinato à la contrebasse, et Lasserre n’hésite pas à utiliser des baguettes (fait de plus en plus rare chez les batteurs/percussionnistes de musiques improvisées). Et les rôles s’inversent pour un solo lyrique de contrebasse, pour une recherche sonore à la batterie, pour un pattern rythmique au saxophone. Les rôles s’inversent ou s’effacent, et c’est là que la gestion de l’espace paraît remarquable. Un espace jamais saturé, où chaque musicien peut se déployer entièrement, personnellement, avec tout son langage. Les musiciens savent s’écouter, mais savent surtout laisser la place nécessaire au libre déploiement de chaque personnalité.
En bref, il s’agit de musique improvisée certainement. On le reconnaît. Mais on s’en fout en même temps. Il s’agit avant tout de musique. D’une musique que seul ce trio peut faire, car elle est vraiment intime et personnelle, libre et spontanée (mais pas du tout au sens de l’improvisation non-idiomatique). Une liberté qui revendique le lyrisme et la mélodie, qui revendique ses origines et jouit de ses influences esthétiques. C’est beau, excessivement beau. Poignant je dirais même. Le trio Lazro/Duboc/Lasserre propose encore une fois une magnifique leçon d’improvisation, mais aussi une magnifique leçon instrumentale car chacun des musiciens sait utiliser son instrument de manière organique certes, mais aussi et surtout de manière très précise, savante et méticuleuse. Un trio qui sait aussi bien manier l’instrument que la musique elle-même ; qui sait aussi bien produire la beauté que créer de l’émotion. Littéralement ravissant et poignant, et donc vivement conseillé.
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