Chronique par Franpi Barriaux sur Sun Ship (15 octobre 2012)

Après un album remarqué avec le grand Daunik Lazro ( « Pourtant les Cimes des Arbres ») où l’on retrouvait déjà le très sensible contrebassiste Benjamin Duboc, le jeune Label Dark Tree cornaqué par Bertrand Gastaut nous emmène de nouveau au coeur palpitant de la musique improvisée. C’est avec un trio remarquable que l’aventure de Dark Tree continue. C’est lui qui anime ce « En Corps » diablement bien nommé, où l’enregistrement très profond laisse beaucoup de place aux musiciens. Cette fois-ci, autour de Benjamin Duboc, on retrouve l’incontournable Eve Risser au piano préparé et Edward Perraud à la Batterie, que l’on avait pu voir récemment avec Elise Caron, et dans tant d’autres formations…
En deux morceaux qui se laissent le temps pour développer des échanges à la fois bruts et complexes, le trio construit une musique organique et vibrante. Elle s’appuie sur la capacité qu’ont ces trois improvisateurs à construire des chemins, des récits à travers l’usage étendu de leurs instruments. Craquements, pincements, jeu d’archet bâtisseur, Benjamin Duboc apporte avec sa contrebasse une solidité, une base inextinguible sur laquelle s’appuie les deux autres musiciens ; il y a de la puissance, de la force brute qui transperce l’auditeur sans pour autant prendre toute la place. La contrebasse est omniprésente mais se place avant tout dans les interstices, les temps faibles pour continuer à donner corps à cette expression à trois.
Sur ce maelström en constante évolution, nos deux architectes bâtissent des structures éphémères, aussi solides qu’elles peuvent être légère. Edward Perraud notamment, qui sait parfaitement faire vivre sa batterie en dehors de la simple frappe, donne vie à de minces galeries au cœur de la masse sonore. Cymbales frottées, rythmiques avortées, frêles caresses des peaux et des métaux, toute la gamme est présentée sans ne jamais ressembler à un catalogue, mais plutôt à une recherche de constants entrelacements avec la pianiste. Eve Risser, quant à elle, fait absolument corps avec son piano. On a envie de dire, comme d’habitude.
On savait en effet la capacité d’Eve à transformer chaque univers qu’elle embrasse, mais elle dévoie ici un peu plus cette fougue et cet enthousiasme à sculpter la masse sonore en plongeant au cœur de son piano. Cordes pincées, touches assourdies, objets dansants entre les marteaux de son instrument, le piano s’exprime dans une langue d’apparence étrangère, mais qui n’a jamais été aussi familière à nos oreilles…
On ne se lasse pas d’entrer dans l’univers Touffu de « Trans », le premier morceau ou pendant plus de trente-quatre minutes, le trio va construire devant nous une multitudes de chemins que chaque écoute nous révèle. Envolée de batteries, cordes frappées ou tendues, c’est une musique charnelle qui se dessine dans laquelle chacun semble pousser l’autre à de nouvelles ramifications.
Dans « Chant d’Entre », morceau plus court qui lui fait suite, cette cartographie en constante entropie est soudainement chamboulée. Le piano d’Eve Risser se fait soudain stentor, esprit frappeur, comme on bouscule les certitudes pour mieux redessiner de nouveaux chemins. Très vite, de nouvelles perspectives se dessinent, à travers l’amalgame fragile des trois musiciens qui savent se grimer pour parler parfois d’une même voix.
En Corps n’est pas seulement le jeu de mots qui nous fait remettre ce disque une fois de plus sur la platine. C’est une visite en apnée dans les viscères des instruments, dans le corps palpitant de l’improvisation. Un voyage qui vous trimbale, qui vous essore, qui vous chamboule…
Mais dans lequel on retourne, Encore et En Corps.

 

 

 

 

 

 

 

 

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