juin 012015
• Chronique de Olivier Delaporte dans Improjazz (juin 2015)
L’avant garde californienne a toujours été bien plus éloignée des projecteurs que ça semblable scène new-yorkaise et pourtant…
Cela tient au fait que les musiciens californiens s’intéressant au free étaient proportionnellement moins nombreux que ceux de New York ? De ce fait la production discographique dans ce style venant de la cité des anges a également été moins fournie. Moins fournie mais aussi plus dure à trouver. Les originaux de Carter et Bradford sur les labels « Revelation » ou « Flying Dutchman ». Pourtant la mémoire du jazz ne les a pas oubliés et un certain nombre de producteurs ont entrepris de remettre cette scène en pleine lumière. Ainsi ces dernières années, les rééditions ont permis de réhabiliter tout le catalogue de ce groupe emmené par le cornettiste Bobby Bradford et son compère John Carter, un groupe qui était à géométrie variable et qui pouvait passer d’une à deux contrebasses ou s’adjoindre les services d’un clavier comme au mi-temps des années 80.
L’intégralité des sessions que le groupe enregistra pour l’éphémère label « Revelation » a été réédité il y a quelques années par « Mosaic Records », suivi de près par la luxueuse édition CD de « Flight for Four ». Tout récemment c’est le label anglais « BGO » qui a édité en CD « Self Determination Music », le second LP que le groupe avait enregistré pour le label de Bob Thiele.
Il subsistait néanmoins un vide discographique entre cette période et le retour des musiciens en studio à partir de 1978 grâce à « Moers » et « Black Saint ». Ce vide est aujourd’hui comblé et de la façon la plus intéressante par « No U-Turn, Live in Pasadena » sorti chez « Dark Tree ». L’arrivé de cet enregistrement jusqu’alors inédit sur le label animé par Bertrand Gastaut, n’est qu’une demi surprise quant on sait que Bertrand a toujours eu une oreille sur cette scène, le nom même de son label signifiant son intérêt pour la musique d’un autre californien : Horace Tapscott.
Que nous réserve donc ce « No U-Turn » ?
La formation tout d’abord, elle se compose de Bradford au cornet, Carter à la clarinette et au soprano, deux bassistes dont Roberto Miranda (futur Horace Tapscott Trio), Stanley Carter et le batteur William Jeffrey, ces deux derniers ayant continué d’accompagner John Carter pendant quelques années.
L’écoute de ce concert fait tout d’abord ressortir l’impression qu’il existe une forme de subtile relation entre le « West Coast » et le free californien. Les deux en effet entretiennent une similaire distance avec leurs équivalents de New York. Comme le « West Coast » proposait une musique plus « fine », plus raffinée que l’immédiateté du « hard bop »; l’avant garde californienne est moins brute « brutale? » que son parallèle de la grosse pomme. Ainsi et alors que l’on a souvent eu tendance à résumer à l’avant garde américaine à travers le prisme de l’alternative New York v/s Chicago, Bradford et Carter nous rappellent qu’il y a une troisième voie qui contrairement à St Louis par exemple ne s’est pas fondue dans le mouvement loft.
Le set commence par deux compositions qui faisaient régulièrement partie du répertoire de Bradford durant ces années « Love’s Dream » et « She ». On trouve en effet ces deux compositions au programme de « Midnight Pacific Airwaves » qui a été publié chez « Entropy » d’après une performance pour une radio californienne en 1978.
« Love’s Dream » est un tempo rapide qui permet à William Jeffrey de s’inscrire d’emblée comme un batteur qui n’en reste pas à la rythmique, il donne régulièrement la réplique aux deux souffleurs et est e permanence à la recherche de textures complexes. Il occupe ce rôle du début à la fin du concert et constitue une part importante de l’intérêt de cette musique. C’est au soprano que Carter débute sa prestation, un instrument qui n’est pas si familier dans son répertoire, en effet avant de se focaliser durablement sur la clarinette il était plutôt un altiste. La découverte est de taille car il s’avère avoir son très limpide et une grande maitrise de la justesse sur cet instrument que peu arrivent à jouer autrement que de façon criarde. Carter parvient à jouer tout en puissance en contrôlant l’irruption d’aigus qui desservent trop souvent cet instrument. Bradford se caractérise comme d’habitude par ce qu’on le pourrait appeler une certaine élégance, c’est à dire qu’il reprend son souffle à chaque fin de phrase sans jamais être ennuyeux. Ce disque illustre assez clairement son talent comme une sorte de force tranquille, jamais il ne court après la note, le discours est mesuré, contrôlé et du coup pertinent.
« She » est sans doute mon moment préféré de l’album, moins rapide que « Love’s Dream » le thème change de direction en son milieu pour aborder les rives de l’introspection nous donnant l’occasion d’apprécier un échange magnifique entre les deux bassistes et le batteur.
« Comin’ On » repart sur un rythme plus soutenu et il est l’occasion d’un des plus magnifiques solo de John Carter, la montée est progressive et clairement inspirée. Le même Carter réitère sur « Circle » un morceau de bravoure du même niveau mais à la clarinette cette fois. « Come Softly », le titre le plus court de l’album est aussi le seul sans Bradford, à la clarinette Carter, les deux bassistes et le batteur naviguent entre romantisme et spiritualité musicale. Enfin « Circle » que j’ai déjà évoqué est introduit par un solo de chacun des deux souffleurs qui se poursuit en duo avant que tout le groupe n’entre dans la danse.
A plusieurs reprises Carter et Bradford jouent en même temps et force est de constater qu’il s’agit bien d’un duo, non d’un duel, l’écoute est réciproque et aucun ne cherche à tirer la couverture sur lui. Le placement au même endroit des deux bassistes m’a un peu gêné à la première écoute, j’ai un peu déploré la difficulté de distinguer avec précision chacun de leur jeu mais à la seconde écoute il m’est finalement apparu que leur jeu mélangé permettait de faire ressortir la contribution qu’ils apportent en tant que duo. On ne peut évidemment pas tenir rigueur à Dark Tree de ce fait, cela vient évidemment de l’enregistrement d’origine.
Un CD très intéressant donc et une contribution à une discographie qui n’est pas superflue bien au contraire.
Cela tient au fait que les musiciens californiens s’intéressant au free étaient proportionnellement moins nombreux que ceux de New York ? De ce fait la production discographique dans ce style venant de la cité des anges a également été moins fournie. Moins fournie mais aussi plus dure à trouver. Les originaux de Carter et Bradford sur les labels « Revelation » ou « Flying Dutchman ». Pourtant la mémoire du jazz ne les a pas oubliés et un certain nombre de producteurs ont entrepris de remettre cette scène en pleine lumière. Ainsi ces dernières années, les rééditions ont permis de réhabiliter tout le catalogue de ce groupe emmené par le cornettiste Bobby Bradford et son compère John Carter, un groupe qui était à géométrie variable et qui pouvait passer d’une à deux contrebasses ou s’adjoindre les services d’un clavier comme au mi-temps des années 80.
L’intégralité des sessions que le groupe enregistra pour l’éphémère label « Revelation » a été réédité il y a quelques années par « Mosaic Records », suivi de près par la luxueuse édition CD de « Flight for Four ». Tout récemment c’est le label anglais « BGO » qui a édité en CD « Self Determination Music », le second LP que le groupe avait enregistré pour le label de Bob Thiele.
Il subsistait néanmoins un vide discographique entre cette période et le retour des musiciens en studio à partir de 1978 grâce à « Moers » et « Black Saint ». Ce vide est aujourd’hui comblé et de la façon la plus intéressante par « No U-Turn, Live in Pasadena » sorti chez « Dark Tree ». L’arrivé de cet enregistrement jusqu’alors inédit sur le label animé par Bertrand Gastaut, n’est qu’une demi surprise quant on sait que Bertrand a toujours eu une oreille sur cette scène, le nom même de son label signifiant son intérêt pour la musique d’un autre californien : Horace Tapscott.
Que nous réserve donc ce « No U-Turn » ?
La formation tout d’abord, elle se compose de Bradford au cornet, Carter à la clarinette et au soprano, deux bassistes dont Roberto Miranda (futur Horace Tapscott Trio), Stanley Carter et le batteur William Jeffrey, ces deux derniers ayant continué d’accompagner John Carter pendant quelques années.
L’écoute de ce concert fait tout d’abord ressortir l’impression qu’il existe une forme de subtile relation entre le « West Coast » et le free californien. Les deux en effet entretiennent une similaire distance avec leurs équivalents de New York. Comme le « West Coast » proposait une musique plus « fine », plus raffinée que l’immédiateté du « hard bop »; l’avant garde californienne est moins brute « brutale? » que son parallèle de la grosse pomme. Ainsi et alors que l’on a souvent eu tendance à résumer à l’avant garde américaine à travers le prisme de l’alternative New York v/s Chicago, Bradford et Carter nous rappellent qu’il y a une troisième voie qui contrairement à St Louis par exemple ne s’est pas fondue dans le mouvement loft.
Le set commence par deux compositions qui faisaient régulièrement partie du répertoire de Bradford durant ces années « Love’s Dream » et « She ». On trouve en effet ces deux compositions au programme de « Midnight Pacific Airwaves » qui a été publié chez « Entropy » d’après une performance pour une radio californienne en 1978.
« Love’s Dream » est un tempo rapide qui permet à William Jeffrey de s’inscrire d’emblée comme un batteur qui n’en reste pas à la rythmique, il donne régulièrement la réplique aux deux souffleurs et est e permanence à la recherche de textures complexes. Il occupe ce rôle du début à la fin du concert et constitue une part importante de l’intérêt de cette musique. C’est au soprano que Carter débute sa prestation, un instrument qui n’est pas si familier dans son répertoire, en effet avant de se focaliser durablement sur la clarinette il était plutôt un altiste. La découverte est de taille car il s’avère avoir son très limpide et une grande maitrise de la justesse sur cet instrument que peu arrivent à jouer autrement que de façon criarde. Carter parvient à jouer tout en puissance en contrôlant l’irruption d’aigus qui desservent trop souvent cet instrument. Bradford se caractérise comme d’habitude par ce qu’on le pourrait appeler une certaine élégance, c’est à dire qu’il reprend son souffle à chaque fin de phrase sans jamais être ennuyeux. Ce disque illustre assez clairement son talent comme une sorte de force tranquille, jamais il ne court après la note, le discours est mesuré, contrôlé et du coup pertinent.
« She » est sans doute mon moment préféré de l’album, moins rapide que « Love’s Dream » le thème change de direction en son milieu pour aborder les rives de l’introspection nous donnant l’occasion d’apprécier un échange magnifique entre les deux bassistes et le batteur.
« Comin’ On » repart sur un rythme plus soutenu et il est l’occasion d’un des plus magnifiques solo de John Carter, la montée est progressive et clairement inspirée. Le même Carter réitère sur « Circle » un morceau de bravoure du même niveau mais à la clarinette cette fois. « Come Softly », le titre le plus court de l’album est aussi le seul sans Bradford, à la clarinette Carter, les deux bassistes et le batteur naviguent entre romantisme et spiritualité musicale. Enfin « Circle » que j’ai déjà évoqué est introduit par un solo de chacun des deux souffleurs qui se poursuit en duo avant que tout le groupe n’entre dans la danse.
A plusieurs reprises Carter et Bradford jouent en même temps et force est de constater qu’il s’agit bien d’un duo, non d’un duel, l’écoute est réciproque et aucun ne cherche à tirer la couverture sur lui. Le placement au même endroit des deux bassistes m’a un peu gêné à la première écoute, j’ai un peu déploré la difficulté de distinguer avec précision chacun de leur jeu mais à la seconde écoute il m’est finalement apparu que leur jeu mélangé permettait de faire ressortir la contribution qu’ils apportent en tant que duo. On ne peut évidemment pas tenir rigueur à Dark Tree de ce fait, cela vient évidemment de l’enregistrement d’origine.
Un CD très intéressant donc et une contribution à une discographie qui n’est pas superflue bien au contraire.
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